Le comité AlliéEs à De Rochebelle – Entrevue avec Mariane Beaupré

Marianne Paradis

Depuis de nombreuses années, le comité AlliéEs contre l’homophobie et la transphobie travaille d’arrache-pied pour encourager l’acceptation et la célébration de tous, peu importe leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Mariane Beaupré, fondatrice et responsable du comité depuis des années, discute de ce projet.

Banderole affichée devant le PJR à l’école De Rochebelle à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, 17 mai 2013

« Tout le monde, peu importe son orientation sexuelle, peut devenir un allié. Les Alliés, ce sont simplement des gens qui prônent l’acceptation et qui rejettent l’homophobie ».

Mariane Beaupré, 2014
Comment est-ce que le comité a commencé ?

Ça a commencé, je dirais, il y a quatorze ans. C’est une élève, qui s’appelle Chloé Guilbert-Savary, qui était tannée d’observer des comportements homophobes. Parce qu’on ne parlait pas beaucoup de ce qui était trans. Ça a beaucoup changé en quatorze ans!

Elle observait beaucoup de commentaires, de comportements. Ça la dérangeait beaucoup, donc elle est venue me voir. Au début, elle voulait créer un groupe gai, parce qu’elle voyait ce qui se passait au cégep. Au cégep, souvent ça s’appelle des groupes gais. À ce moment-là, GRIS-Québec faisait une campagne qui s’appelait Alliées, Alliés! (https://youtu.be/oi4560jPaOY)  pour publiciser le concept d’allié(e)s. Je faisais partie de cette campagne, alors je lui ai proposé que ce soit un comité AlliéEs plutôt qu’un groupe gai. C’est ça que ça a donné.

On a demandé la permission à la direction : ça n’a pas passé comme une lettre à la poste! Après peu de temps, ça allait, mais au début il y avait une inquiétude des réactions des parents. Il y avait la peur de cette idée qu’on faisait la promotion de quelque chose. Une fois que ça a été compris que ça s’adressait à tous, là ça a bien passé.

Est-ce qu’il y en a eu, des réactions?

Je n’ai jamais reçu de réaction de parent, et je pense que la direction me l’aurait dit s’il y en avait eu. Il y a parfois eu des questionnements sur la place que le comité prenait dans l’école, mais c’est vraiment marginal. De manière générale, non.

Quels ont été les liens entre le comité AlliéEs à Rochebelle et GRIS-Québec?

Au début, la deuxième année, on a participé au concours GRIS-Fondation Simple Plan. On a gagné 2000$! Il y a aussi eu, en 2017, un événement : ils ont fait un vernissage, et des œuvres de nos élèves du concours d’affiches ont été exposées dans le foyer du théâtre La Bordée.

On les informe de ce qu’on fait, alors ils étaient aussi venus à notre célébration des dix ans du comité. Le directeur général qui était là quand on a débuté le comité est parti, et depuis ce temps-là, il y a un peu moins de liens qui se font. Sinon, GRIS-Québec offre un service pour venir aider des gens dans un processus de coming-out. Ils viennent parler avec des jeunes à l’école. Ils sont venus deux ou trois fois, parler à des élèves pour les aider.

Quels sont les plus grands projets réalisés par le comité?

On ne voulait pas faire d’énormes projets. Ce qu’on voulait, c’était installer quelque chose de régulier, une présence régulière dans l’école. Le plus gros projet qu’on a fait, c’était la célébration des dix ans, avec un gros vernissage d’œuvres, des activités. De manière générale, l’instauration des concours d’affiches et d’écriture, la mise en place d’une semaine de lutte à l’homophobie (qui se fait toujours avec une création collective pour que le plus de gens possibles participent), certaines campagnes d’information…

Personnellement, je trouve que le sondage, qui a pris beaucoup de temps et qui nous a permis un peu de savoir c’était quoi les comportements et les opinions à l’intérieur de l’école, nous a vraiment permis de nous aiguiller. Ça n’a pas l’air d’un gros projet, mais ça a été long à réaliser.

Réalisation par les Rochebellois et Rochebelloises de la création collective pour la semaine de lutte, en 2016

On voulait faire un énorme projet, qui était la passerelle arc-en-ciel, mais il y a des problèmes techniques qui nous empêchent d’avancer là-dessus. C’est certain que j’aimerais beaucoup qu’il y ait une exposition permanente à l’école. Surtout que si c’est une passerelle, on le voit de la rue aussi. Je pense que ça lance un message quand même assez clair, qu’on est un lieu d’accueil et de célébration.

C’est quoi l’importance du comité AlliéEs dans l’école?

Je pense que toutes les écoles devraient en avoir! Originalement, on était les premiers dans la région de Québec. Pendant longtemps, c’était plus quelque chose qui existait dans les cégeps, les groupes similaires à ça. Quelques années après nous, il y a Saint-Charles qui en avait débuté un aussi. Ils étaient venus nous voir, on avait rencontré les élèves pour les guider. Mais il est arrivé ce qui arrive toujours dans les écoles, c’est-à-dire que quand ces élèves-là ont gradué, il n’y avait pas de relève.

L’importance que j’y vois, c’est que vous êtes à l’école tous les jours, à peu près autant d’heures qu’à la maison, plus d’heures qu’au travail. Ce n’est pas facile, venir à l’école. C’est déjà complexe d’être dans ce lieu-là, avec toutes ces personnes en même temps, avec des exigences sociales, intellectuelles, de performance… Si en plus, tu ne t’y sens pas complètement accepté(e) tel(le) que t’es, on fait juste rajouter une couche de difficulté à la vie scolaire. Ça m’apparaît comme quelque chose de problématique.

Ensuite, il y a aussi que nous ne faisons pas seulement la promotion de la tolérance. On est dans des concepts de célébration, d’ouverture. C’est pas juste les élèves qui font partie de la communauté LGBTQ+ qui sont touchés par ça. Un élève intimidateur, homophobe ou transphobe, ne va pas vérifier l’orientation ou l’identité de quelqu’un avant de faire de l’intimidation. Donc, ça touche absolument tout le monde.

Aussi, l’école est un lieu d’éducation. L’éducation, oui c’est les matières, mais c’est aussi la vie en société, le vivre ensemble, s’accepter les uns les autres. C’est un de nos buts principaux, d’éduquer, d’enseigner, de faire comprendre, de renseigner pour que les idées préconçues ou les idées négatives disparaissent le plus possible. On peut avoir l’air, de l’extérieur, d’un comité pas très militant. Depuis le début, notre philosophie ce n’est pas d’y aller dans l’agressivité, mais de plus y aller dans l’ouverture et la discussion. C’est de dire : « Ah, tu n’es pas d’accord? Viens, on va en parler. » Toujours en gardant en tête que l’homophobie n’est pas une opinion. C’est très important : l’homophobie, la transphobie, ne sont pas des opinions. Mais on reste un lieu d’éducation. Alors, si on se braque agressivement contre des personnes qui ont des visions qui ne fonctionnent pas, on n’avancera pas. Donc, c’est de rester dans l’ouverture, ce qui peut être difficile quand on touche à un sujet qui est aussi viscéral.

Est-ce que le nouveau programme CCQ va aussi prendre un peu cette place-là dans l’école?

De ce que je comprends, parce que mes collègues d’ECR sont en formation pour CCQ en ce moment, effectivement il y a des contenus qui vont être intégrés dans les cours de CCQ. Mais je pense que ça veut juste dire que, comme on fait actuellement, lorsque le comité va vouloir parler directement aux élèves, on va passer par ces cours-là. Il faut toujours faire attention, parce que ça reste un cours à deux périodes par cycle, et leur programme est très touffu, donc on ne veut pas leur enlever des périodes. Mais effectivement, c’est déjà des partenaires très actifs et très ouverts, et ça va rester comme ça. Je ne sais pas à quel point on va faire nos actions en lien avec le contenu qui est vu en CCQ, mais c’est sûr que c’est nos partenaires numéro un dans l’école.

Comment sont déterminés les enseignants qui rejoignent le comité?

Tous les enseignants ont des comités ou des tâches en présence des élèves mais non-enseignantes à faire. On choisit en fonction de nos intérêts, alors ça a toujours été des profs qui sont intéressés par cette lutte, à ce travail dans l’école, qui rejoignent le comité. C’est sûr que ça fait qu’on est les mêmes profs d’année en année! La direction aussi, je pense, essaie de maintenir les équipes dans les comités pour un certain suivi.

Rochebellois et Rochebelloises posant avec les ailes créées par le comité AlliéEs à l’occasion de la semaine de lutte contre l’homophobie et la transphobie, juin 2022.

Quels sont les effets positifs du comité AlliéEs sur les enseignants qui en font partie ?

Moi, je ne suis pas en questionnement, en ce moment. Moi, mon identité et mon orientation sont définies et tout va bien. Mais les élèves sont en questionnement, ce qui fait qu’ils vont faire beaucoup de recherche, beaucoup de lectures. Ils vont aller voir beaucoup de vidéos, de documentaires, de choses comme ça. Je vais faire les lectures de mon côté aussi, mais souvent c’est par les élèves que les nouvelles identifications ou les nouvelles idées arrivent. J’ai appris beaucoup en étant dans notre comité, surtout tout ce qui est lié à l’identité de genre dans les cinq, six dernières années.

Il faut qu’on soit au courant, les profs du comité Alliés, parce que nos collègues qui ne sont pas dans le comité, c’est nous qu’ils viennent voir pour poser des questions : « Comment est-ce que je devrais agir dans cette situation-là? Est-ce que j’ai fait la bonne chose? Je ne suis pas sûr(e) de comprendre ça quand mon élève m’en parle. Voyons, comment ça se fait que cet(te) élève-là revendique ça? »  Souvent, c’est nous qu’ils viennent voir. Alors, il faut qu’on soit prêts aussi à répondre à leurs questions.

Est-ce que les réalités LGBTQ+ peuvent causer des difficultés pour certains enseignants?

La nouveauté, c’est toujours difficile. Mais ce n’est pas une difficulté dans le sens de rejet ou de non-acceptation. C’est plus qu’on veut tous que nos élèves soient bien dans nos classes. On a tous peur de faire des gaffes. On est tous conscients de l’importance que ça a pour les élèves. C’est sûr qu’il y a des profs qui vont mettre leurs valeurs personnelles de côté pour suivre les valeurs de l’école, et ça c’est normal dans plein de sujets. On représente l’école.

Il y a aussi un travail qui se fait au centre de services scolaire pour que, le plus possible, les élèves trans et non binaires se sentent les bienvenus à l’école. Il y a un cadre légal aussi autour de ça. Ce n’est pas « je feel pour accepter » ou pas. Il y a un cadre.

Avec les travaux qui se font présentement à l’école, la question des toilettes non genrées doit probablement se poser, non? Quel est le rôle du comité dans cette discussion?

On a déposé un dossier à la direction par rapport aux toilettes non genrées. Un des problèmes qu’on a, c’est que les règles de sécurité dans les toilettes vont à l’encontre des règles pour les toilettes non genrées. C’est-à-dire que ce qui est recommandé pour une toilette non genrée entre autres, c’est que la porte de la cabine soit complète, jusqu’au sol. Mais ça, ça va à l’encontre de nos règles de sécurité. C’est encore une discussion qui se fait.

Pour le moment, ce qui existe comme toilettes non genrées, c’est une cabine de toilette qui est à part, avec une clé. Mais je crois que la direction y va au cas par cas. Lorsqu’un(e) élève exprime un besoin d’avoir accès à une salle de toilette ou à l’autre, la direction et les intervenants s’assoient avec l’élève et essaient de trouver la solution qui lui convient. Ce n’est pas du mur-à-mur, c’est du cas par cas. Est-ce que ça va être fait différemment au moment des travaux? Ça va encore dépendre des règles de construction et ces choses-là.

Kiosque du comité AlliéEs à l’occasion de la Caravane Sexu, décembre 2021

Quels sont les défis les plus importants du comité?

Les plus gros défis du comité restent les mêmes que n’importe quel comité dans une école, c’est-à-dire la mobilisation des élèves, le budget et de ne pas avoir l’impression qu’on est toujours en train de recommencer. Tu ne peux pas te dire, peu importe le sujet du comité, « Ben voyons donc, on l’a expliqué, ça, il y a deux ans! On a fait une campagne là-dessus! » Oui, mais ces élèves-là, ils sont rendus à l’université. Oui, c’est toujours à recommencer. C’est toujours de nouvelles personnes.

Et pour les prochaines années?

Présentement, on est un peu en restructuration parce qu’on a été victimes de notre succès. Il y a deux ans on était presque quatre-vingts élèves dans le comité, ça nous a ralentis. Maintenant, on est séparés en deux niveaux. On essaie de continuer à faire en sorte que ce soit le comité de toute l’école et que tous les gens dans l’école se sentent impliqués. Du point de vue des projets, en ce moment c’est vraiment plus de se trouver une relève pour le comité. On perd des élèves tous les ans! La pandémie ne nous a pas aidés non plus.

Le défi du comité AlliéEs, ça a toujours été : est-ce qu’on crée un safe space où les gens peuvent juste partager? Ou est-ce qu’on veut faire des actions? Nous, on a toujours voulu faire des actions, sauf qu’il y a beaucoup de gens qui viennent dans les réunions juste pour le safe space. Donc, on a l’impression qu’on a une grosse main-d’œuvre pour faire des projets, mais après ça on se rend compte qu’on a beaucoup moins de monde qu’on pensait. C’est aussi ça qui est difficile à gérer. Parce que les élèves ont besoin de safe spaces! Ils ont envie de jaser, juste d’être entre eux. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont envie de mettre de l’énergie dans des actions du comité. C’est faire cette distinction-là aussi.

Pour conclure, quelles sont vos plus grandes fiertés par rapport au comité AlliéEs?

D’exister encore, quatorze ans plus tard, déjà. Je suis assez fière aussi qu’il y ait d’anciens élèves qui sont maintenant des profs impliqués dans le comité. Je trouve ça merveilleux. Pendant longtemps, j’étais très toute seule, comme prof pour le comité. Là, d’avoir des collègues, je trouve ça vraiment fantastique. Aussi, à quel point le comité est intégré dans l’école : il n’y a personne qui remet jamais en question que ça fasse partie de l’école. C’est la fierté numéro un, la présence positive du comité dans l’école. C’est ça qui me fait le plus plaisir!

Du 19 au 22 février 2024 se tiendra la semaine de lutte contre l’homophobie et la transphobie à Rochebelle. De nombreuses activités seront organisées tout au long de la semaine, tant pendant la pause du midi que le matin. Restez à l’affût et participez en grand nombre!

Pour en apprendre davantage sur le comité AlliéEs, visitez le compte Instagram : https://www.instagram.com/comite_alliees_derochebelle/.

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