Mathilde Leblond
Notre système d’éducation change constamment, et cette année ne fait pas exception à la règle. En 2024, le cours d’Éthique et Culture religieuse subira plus que des changements : il sera carrément remplacé par le programme d’études Culture et citoyenneté québécoise. Mais quel contenu ce cours offre-t-il vraiment, et quelle est l’opinion des enseignants touchés par cette nouvelle? Grâce à l’accompagnement de Justine Sylvestre, enseignante d’éthique et culture religieuse à l’école, cet article répondra à vos questions!

Avant de répondre à mes questions, voulez-vous nous parler un peu de votre parcours en tant qu’enseignante, de votre arrivée à de Rochebelle, de la matière que vous enseignez et en quelle année du secondaire vous pratiquez votre métier?
J’ai obtenu mon BAC en enseignement du secondaire à l’Université Laval. Mon arrivée à Rochebelle s’est faite lors de mon stage IV en 2021-2022. Il s’agissait d’un stage qui a commencé à la rentrée scolaire et s’est poursuivi jusqu’au congé des fêtes. C’était ma première véritable expérience en tant qu’enseignante à long terme. Je suis immédiatement tombée amoureuse de l’école. J’ai enseigné l’ECR en secondaire 5. J’ai apprécié la diversité que l’école pouvait m’offrir. Étant originaire de la région de Montmagny, je n’avais jamais expérimenté une telle diversité dans un contexte scolaire (à l’exception de l’université). Voir des jeunes avec des origines différentes, des cultures différentes et des styles vestimentaires différents s’unir et se tolérer était pour moi quelque chose de complètement nouveau et excitant. J’ai su à ce moment que je voulais faire progresser ma carrière ici. J’ai eu la chance d’avoir des collègues et des élèves incroyables qui m’ont donné le goût de me développer dans cette carrière passionnante.
Pour l’année scolaire 2022-2023, j’ai enseigné l’ECR aux élèves de la francisation. C’était un gros défi pour moi au départ, mais j’ai rapidement développé un profond attachement pour cette clientèle. Les jeunes immigrants en francisation sont des personnes résilientes qui ont beaucoup d’amour à donner.
Cette année, en 2023-2024, je retrouve mes anciennes amours et j’enseigne à nouveau en secondaire 5 du PMP ainsi que du PEI. Il s’agit d’un autre défi pour ma carrière. Jumeler deux programmes différents simultanément est quelque chose de stimulant et rempli de nouvelles opportunités.
Tout d’abord, il est important pour la suite de l’article de comprendre ce qu’est exactement le cours de citoyenneté québécoise, ou CCQ, pour faire court. Pouvez-vous nous partager votre propre définition?
Le cours de CCQ est conçu pour aider les élèves à comprendre et à intégrer les aspects clés de la culture et de la citoyenneté québécoise, tout en développant des compétences en dialogue et en pensée critique. Il s’articule autour de trois axes principaux : la culture québécoise, la citoyenneté québécoise, et le dialogue et la pensée critique. Il vise à préparer les élèves à l’exercice de la citoyenneté (comment devenir un citoyen actif dans notre société), à favoriser la reconnaissance de soi et des autres, ainsi qu’à promouvoir le bien commun (comment bien vivre et tolérer les différentes cultures de notre société).
Le programme aborde des thèmes variés, allant de la participation citoyenne et la démocratie à l’éducation juridique, l’écocitoyenneté, l’éducation à la sexualité, le développement personnel, les relations interpersonnelles, et la citoyenneté numérique. Le cours de CCQ encourage les élèves à réfléchir sur des questions contemporaines, telles que la liberté d’expression, la laïcité de l’État, l’égalité des genres, la diversité sexuelle et de genre, le racisme, et l’utilisation des médias sociaux, tout en développant des compétences sociologiques et éthiques, ainsi que des compétences en dialogue et en pensée critique. Si l’on observe bien, nous pouvons voir que plusieurs de ces thèmes sont déjà utilisés dans le programme d’ECR.
Selon vos connaissances, depuis combien de temps l’idée d’instaurer ce cours existe d’un point de vue politique?
Cela fait probablement des années que ça dure! Le cours d’Éthique et Culture religieuse (ECR) n’a jamais joui d’une excellente réputation dans notre société depuis sa réforme en 2008. On a souvent entendu dire que c’était un cours inutile ou qu’il tentait de forcer les jeunes à adhérer à une religion. Cependant, les rumeurs concernant un nouveau cours n’ont commencé à circuler en politique qu’au début de l’année 2020, et l’annonce officielle n’a été faite qu’en octobre 2021.
Quand verra-t-il le jour à l’école secondaire de Rochebelle? Depuis combien de temps en êtes-vous averti? Comment avez-vous réagi en recevant pour la première fois cette nouvelle?
Au départ, on nous avait annoncé que le cours débuterait à la rentrée 2022, puis en 2023, et finalement, il se tiendra en 2024 à Rochebelle. Ce délai a suscité en moi un mélange d’inquiétude et d’excitation. J’ai un penchant pour la nouveauté, et j’estime que ce cours inédit pourrait mieux correspondre à la réalité des adolescents d’aujourd’hui. Cependant, j’avais des craintes quant à notre préparation pour ce programme, ainsi qu’à la disponibilité de matériel adéquat. Après de multiples réunions et formations, il semble que nous bénéficierons d’un bon soutien.
Quelles formations, apprentissages ou adaptations aviez-vous à suivre en vue de ce nouveau programme? La différence entre les deux cursus est-elle aussi marquante qu’on la décrit? Ces changements ont-ils été longs ou éprouvants à intégrer?
Plusieurs formations sont disponibles pour nous préparer à l’arrivée du cours. J’ai eu la chance que la direction ait accepté que j’aie accès à ces formations en temps réel. Ainsi, je dois suivre environ 8 formations entre le début de l’année scolaire et la période des fêtes. Elles comprennent les sujets suivants :
- Finalités et fondements;
- L’évaluation;
- La sociologie et la compétence au secondaire;
- Les contenus en éducation à la sexualité;
- Les thèmes au premier cycle;
- La réflexion éthique comme compétence au secondaire;
- Perspective autochtone;
- Les thèmes au deuxième cycle.
Je n’ai pas encore terminé toutes les formations, donc je peux affirmer que les changements sont assez substantiels et exigeants, mais il est intéressant de noter que le programme présente des similitudes avec le cours d’ECR.

Dans de nombreux débats ou textes d’opinions en faveur du cours d’ECR, on dit beaucoup que le CCQ amènera presque forcément à l’ignorance du phénomène religieux et éthique, étant donné que ce ne seront plus les principaux sujets abordés en classe. Quelles sont vos pensées vis-à-vis de cette déclaration? Pouvez-vous déjà prédire si elle est vraie ou fausse?
En effet, nous accorderons moins d’importance au phénomène religieux, mais il va sans dire que nous ne l’ignorerons pas complètement. En réalité, le nouveau cours CCQ mettra l’accent sur l’esprit critique, le dialogue et la promotion d’une citoyenneté québécoise commune qui va au-delà des affiliations religieuses. Ainsi, nous aborderons le phénomène religieux comme un élément essentiel de la culture québécoise, tout comme la diversité de genres, les différentes origines ethniques, les orientations sexuelles, etc.
Et de l’autre part, plusieurs politiciens affirment que le cours d’éthique et culture religieuse comme on le connaît « stigmatise les enfants en fonction d’une pratique religieuse », « propage des stéréotypes », « va à l’encontre de l’égalité entre les femmes et les hommes », et j’en passe (paroles venant de Pascal Bérubé lors de ce qui semble être une assemblée, en 2019). Que pensez-vous de ces accusations, et comment y répondrez-vous si quelqu’un vous les posait? Est-ce déjà arrivé?
Les critiques formulées à l’encontre du cours d’éthique et culture religieuse soulèvent des préoccupations légitimes. Parmi les accusations, on retrouve la stigmatisation des enfants en fonction de leur pratique religieuse, de la propagation de stéréotypes et du non-respect de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces inquiétudes mettent en lumière la nécessité de réfléchir à la manière dont le cours est enseigné et de garantir qu’il atteigne ses objectifs éducatifs sans discriminer ni stigmatiser quiconque.
Il est important de rappeler que le but du cours d’éthique et culture religieuse est de sensibiliser les élèves à la diversité des croyances, des cultures et des valeurs. Il vise à encourager le respect mutuel et le dialogue interculturel. Ainsi, le programme devrait promouvoir la tolérance envers toutes les pratiques religieuses, les croyances et les identités de genre, sans favoriser une religion spécifique.
Cependant, il est vrai que l’efficacité du cours dépend fortement de la manière dont il est mis en œuvre. Les enseignants jouent un rôle crucial dans la manière dont les sujets sont abordés en classe. Des discussions ouvertes, la mise en avant des droits de l’homme, de l’égalité entre les sexes, ainsi que la promotion d’un dialogue constructif sont essentielles pour atténuer ces préoccupations.

Sera-t-il difficile pour vous de changer votre titre de professeure d’éthique et culture religieuse en professeure de citoyenneté québécoise? Parlez-nous un peu de votre expérience personnelle : sentez-vous que votre intérêt face à votre profession reste le même malgré les impacts?
Pour ma part, je ne considère pas que ce sera une tâche difficile, d’autant plus que je suis encore au début de ma carrière. Je me trouve actuellement dans une phase d’exploration et de développement de mes propres cours. En revanche, je pense que cela pourrait être plus complexe pour un enseignant qui a déjà plusieurs années d’expérience dans l’enseignement du cours d’Éthique et Culture religieuse et qui réutilise fréquemment ses anciennes planifications.
Mon intérêt pour ce nouveau cours s’accroît au fil des formations, car je réalise qu’il répondra aux préoccupations des adolescents. L’adolescence représente une période cruciale sur le plan de l’identité, au cours de laquelle les jeunes se posent de plus en plus de questions sur leur rôle en tant que citoyens. L’idée de les éduquer sur les diverses réalités sociales du Québec est extrêmement stimulante pour moi.
Terminons malgré tout sur une note positive : y a-t-il des modifications bénéfiques dans ce nouveau programme, de la nouvelle matière enseignée qui aura un impact positif sur le futur des étudiants? Quels thèmes avez-vous le plus hâte de partager avec vos élèves des années à suivre?
Je dirais que je suis enthousiaste à l’idée d’enseigner l’ensemble du cours. Les thèmes abordés sont très pertinents pour les élèves. Cependant, le thème qui me touche le plus est celui de l’éducation à la sexualité. Je suis déjà très engagé dans cette sphère au sein de l’école. C’est également le domaine qui suscite le plus mon intérêt. L’objectif de ce thème est de fournir aux élèves les connaissances, les compétences et les attitudes nécessaires pour prendre des décisions éclairées, responsables et respectueuses en matière de sexualité, tout en favorisant la santé, le bien-être et le respect d’autrui. Il vise à créer un environnement éducatif où les élèves peuvent poser des questions, discuter ouvertement de la sexualité et acquérir les compétences nécessaires pour une vie sexuelle saine et épanouissante.
Par ailleurs, je crois que l’écocitoyenneté et les thèmes plus politiques auront un impact positif sur l’éducation des jeunes, car peu d’entre eux sont sensibilisés à ces domaines au cours de leur scolarité au secondaire. Ce volet vise à former des individus conscients, responsables et engagés envers la protection de l’environnement en préparant les élèves à prendre des décisions éclairées et à agir de manière durable pour le bien-être de la planète et des générations futures.
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Merci encore à Justine Sylvestre pour ses réponses développées, précises et utiles! C’était très intéressant d’entendre le point de vue d’une professeure, et j’espère que votre vision positive des choses inspirera vos futurs élèves.
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BIBLIOGRAPHIE
DION-VIENS, Daphnée. « Voici le cours de citoyenneté qui remplacera celui d’Éthique et culture religieuse », Le Journal de Québec (29 juin 2022), [https://www.journaldequebec.com/2022/06/29/voici-le-cours-de-citoyennete], page consultée le 18 octobre 2023.
Québec, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION. Programme d’études Culture et citoyenneté québécoise. Québec, ministère de l’Éducation, 2023, 1p. Repéré à: https://www.education.gouv.qc.ca/parents-et-tuteurs/references/refonte-programme-ethique-culture-religieuse/.
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BÉRUBÉ, Pascal. Abolition du cours d’éthique et culture religieuse (26 février 2019), [vidéo]. Repérée à: https://youtu.be/lFvny-CN3mg?si=KETXEnk6-PTJIZlU le 18 octobre 2023.