Le poison invisible

Laurence Dolbec

Tous savent qu’un problème banalisé ne fait que prendre de l’expansion. C’est le cas des intoxications, particulièrement au GHB, dans les bars, qui font des ravages de plus en plus fréquents partout au Québec et maintiennent les victimes, surtout les femmes, dans la peur et le doute.

Qu’est-ce que c’est?

Tout d’abord, le GHB fait partie de la catégorie des dépresseurs, agissant puissamment sur le fonctionnement du cerveau. Sous forme liquide, cette drogue est incolore, inodore et non perceptible dans une boisson alcoolisée, particulièrement puisque son goût salé et savonneux s’y noie. De plus, ses effets se perçoivent en 20 minutes, mais disparaissent très rapidement. En effet, elle est détectable seulement 6 heures dans le sang et de 10 à 12 heures dans l’urine. Par contre, cette drogue n’est pas que nocive, puisqu’elle s’utilise dans le domaine médical depuis les 20ème siècle. Pour commencer, l’acide gamma-hydroxybutyrate (GHB) voit ses débuts en 1847 alors qu’il est synthétisé pour la première fois par le chimiste russe Aleksandr Mikhaïlovitch Zaïtsev. Cependant, aucune pratique pharmaceutique n’en est faite avant les années 1960. À ce moment, la Gamma-OH, comme on l’appelait à l’époque, agit comme anesthésique hypnotique, c’est-à-dire l’utilisation d’une forme d’hypnose afin d’éviter l’anesthésie avant une opération. Par exemple, ce procédé servait en obstétrique, qui désigne la surveillance de l’évolution d’une grossesse, puisque ses effets toxiques étaient nulles sur le cerveau d’un fœtus. Peu à peu, cette drogue se répand pour répondre à une variété de besoins, car ses effets secondaires sont considérés minimaux. Aujourd’hui, puisqu’il nécessite un contrôle pour être sécuritaire, le GHB ne s’utilise que dans les anesthésies-réanimations très spécialisées. Ainsi, il est illégal dans les pratiques récréatives, telles que dans l’alcool ou la drogue, puisque ses effets sont dévastateurs.

Conséquences

Certes, selon le Dr Martin Laliberté, du Centre universitaire de santé McGill, le GHB crée un état de somnolence, d’euphorie, une perte de connaissance et de mémoire. En conséquence, la victime est étourdie et inconsciente des décisions qu’elle prend ou trop sonnée pour même en prendre. C’est pourquoi certains criminels la glissent dans les verres aux bars, comme elle passe inaperçue. Ainsi, dû à son impact sur la volonté et le jugement, ils exploitent sexuellement leurs victimes devenues vulnérables. Pour cette raison, le GHB est appelée drogue du viol, puisqu’elle permet aux agresseurs d’agir sans que la personne ne s’en souvienne. Aussi bien que plusieurs intoxications sont dissimulées, ses effets attribués à une trop grande consommation d’alcool. De plus, la difficulté à s’orienter ou coordonner nos mouvements, l’hyperventilation, les nausées, vomissements, les frissons et bouffées de chaleur contribuent à brouiller la conscience et la compréhension de la situation. Plus encore, des conséquences physiques à long terme peuvent survenir selon la quantité absorbée, tels que des troubles digestifs et gastro-intestinaux, des troubles du sommeil, des migraines, des nausées, des blessures et des complications gynécologiques. Après l’événement, les sensations de culpabilité et de honte surviennent, puisque les victimes en veulent à leur supposée imprudence. En effet, plusieurs comportements d’hypervigilance dus à l’angoisse et l’anxiété sont observés à la suite de l’agression. Certains se sentent sales ou anormaux, alors que d’autres nourrissent la haine, le chagrin ou le désespoir. En conséquence, les souvenirs corporels exubérants qui surviennent les amènent à se questionner quant à leur contribution à

l’agression et parfois même à poser des gestes suicidaires. Bien évidemment, il est inconcevable que des telles situations puissent encore se produire et que la victime s’en sente responsable. Il est encore plus horrifiant que les femmes, qui sont les principales cibles, ne puissent sortir dans un bar sans la peur d’une éventuelle intoxication. C’est d’ailleurs cet aspect social, aussi touché par le GHB, qui rappelle l’urgence d’agir. Effectivement, ces impacts démontrent la scandaleuse réalité d’une agression sexuelle. L’agresseur transmet sa douleur aux victimes qui s’isolent, perdent leur autonomie et parfois leurs emplois. Néanmoins, le cœur du problème provient de sa banalisation. En effet, le noir n’est que peint de blanc, espérant à tort que, caché, il s’y noiera.

Solutions

Heureusement, si on réalise que le scandale de la drogue du viol est celui de tous, plusieurs solutions sont possibles pour stopper ce fléau. Sandrine Pelletier et plusieurs de ses amies ayant aussi été intoxiquées au GHB, ont confessé à Le Devoir en mars dernier la peur qu’elles ont ressenties. D’ailleurs, elles proposent plusieurs alternatives qui permettraient d’augmenter leur sentiment de sécurité, en commençant par les bars. Par exemple, des couvercles anti-drogues, des sous-verres qui la détectent ou davantage de caméras sont des investissements pertinents pour protéger la clientèle. Plus que tout, la conscientisation du personnel, l’agissement concret des témoins et selon La Presse la prévention immédiate du 911 pour procéder à un prélèvement toxicologique au plus vite favorisent la motivation à agir. En prime, peu de centres hospitaliers offrent des soins de dépistage rapide; il en existe seulement 3 à Montréal. Ainsi, la politique participe activement au combat, puisque Manon Massé, inquiète de la situation, appelle à l’aide au gouvernement. « C’est l’intégrité du corps des femmes qui est en jeu ici […], droguer quelqu’un contre sa volonté, c’est criminel. Et donc, il faut donner aux femmes le moyen de pouvoir être testées partout sur le territoire du Québec. », témoigne-t-elle à La Presse. Une loi unanime est donc votée le 1er juin 2022 afin d’adopter les tests et l’équipement nécessaires pour détecter le GHB dans tous les hôpitaux de la province.

En conclusion, la drogue du viol, ce poison invisible, affectent notre société plus que l’on pense. Plusieurs moyens, en commençant par prendre ce problème au sérieux, peuvent être mis en place pour ainsi, prévenir des situations ayant des conséquences physiques, mais surtout psychologiques irréversibles

BIBLIOGRAPHIE

DUHAMEL, Frédérik-Xavier. «Motion adoptée à l’unanimité visant à élargir le dépistage au Québec», La Presse (8 juin 2022), [https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2022-06-08/drogues-du-viol/motion-adoptee-a-l-unanimite-visant-a-elargir-le-depistage-au-quebec.php], page consultée le 9 avril 2023.

PELLETIER, Sandrine. «La drogue du viol dans les bars, ça concerne tout le monde», Le Devoir (20 mars 2023), [https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/785949/idees-la-drogue-du-viol-dans-les-bars-ca-concerne-tout-le-monde], page consultée le 9 avril 2023.

TABLE DE CONCENTRATION SUR LES AGRESSIONS À CARACTÈRE SEXUELLES À MONTRÉAL. Impacts des drogues du viol http://www.agressionsexuellemontreal.ca/violences-sexuelles/agression-par-intoxication/impacts-et-consequences, page consultée le 9 avril 2023.

WIKIPÉDIA. Acide gamma-hydroxybutyrique (21 février 2023), https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_gamma-hydroxybutyrique#:~:text=10.3%20Liens%20externes-,Historique,synth%C3%A9tise%20de%20nouveau%20en%201961, page consultée le 9 avril 2023.

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