La testostérone dans le sport féminin

Marianne Paradis

Depuis plusieurs années, une réflexion anime le monde du sport de haut niveau par rapport aux femmes qui ont un taux de testostérone plus élevé que la moyenne. Certains se posent la question : devrait-on prévoir un regroupement différent pour ces athlètes ?

Qu’est-ce que la testostérone? Il s’agit d’une hormone masculine, mais qui est produite en moins grande quantité chez la femme. La testostérone peut améliorer le développement musculaire et entraîner des taux de gras plus faible chez une personne. C’est pourquoi certaines organisations officielles, comme l’association World Athletics, imposent des limites sur les taux de testostérone considérés « normaux » chez les femmes dans le sport de haut niveau. Les athlètes qui sont trop « masculines » doivent donc subir des traitements par médication pour faire baisser leur taux naturel de testostérone, sans quoi elles n’ont pas le droit de compétitionner. C’est le cas de plusieurs athlètes qu’on appelle « hyperandrogènes1 » dont Caster Semenya fait partie. Cette coureuse sud-africaine tente depuis 2009 de faire valoir son droit de participer aux différentes courses internationales de haut niveau. Semenya a récemment fait appel à la Cour suprême suisse pour pouvoir participer aux compétitions sans devoir subir le traitement qui a des impacts négatifs sur sa santé : «« Ça m’a rendue malade, m’a fait prendre du poids, avoir des crises de panique, je ne savais pas si j’allais avoir une crise cardiaque. » [traduction libre]

Caster Semenya, aux Jeux du Commonwealth de 2018

La question des catégories féminines dans le sport ne date pas d’hier, bien que la question précise du taux de testostérone sportives de haut niveau acceptent les femmes dans certaines disciplines, les premières étant le golf et le tennis. Pourtant, ce n’est qu’en 2012 que les athlètes féminines ont eu le droit de concourir dans toutes les épreuves, dans leur propre catégorie. De plus, plusieurs sports olympiques sont aujourd’hui offerts en mode mixte, faisant compétitionner les hommes aux côtés des femmes.

Dans tous les cas, la situation de nombreux athlètes démontre clairement que les catégories binaires ne conviennent pas à tous. Laurel Hubbard, Francine Niyonsaba, Margaret Wambui, Dutee Chand, Christine Mboma et Caster Semenya, pour n’en nommer que quelques-unes, sont des athlètes féminines qui ont été empêchées de participer aux compétitions à au moins une occasion dans leur carrière pour des raisons de testostérone, et elles en ont toutes souffert énormément. Elles ne sont pas seules; selon Stéphane Bermon, directeur du département de santé et des sciences de World Athletics, il y aurait 140 fois plus de femmes intersexes dans le sport de haut niveau que dans la population générale. Ce phénomène s’explique notamment par certains avantages physiques détenus par les femmes ayant des hauts taux de testostérone, ce qui leur facilite l’accès aux compétitions sportives de haut niveau.

Que ce soit chez les femmes intersexes, transgenres, ou celles ayant un taux de testostérone élevé pour d’autres raisons, la question des compétitions sportives de haut niveau divise énormément, notamment du point de vue social. Bien que plusieurs considèrent que la question est purement scientifique, la majorité s’entend pour dire que le sujet traite d’égalité. Que ce soit l’égalité des chances entre toutes les athlètes ou bien l’égalité entre les femmes visées par les réglementations spécifiques au taux de testostérone et les autres athlètes, ce concept est au cœur du débat. Mais serait-il plus équitable de laisser les athlètes hyperandrogènes participer aux compétitions aux côtés des autres sportives, ou bien de créer une nouvelle catégorie où elles pourraient participer sans devoir subir régulièrement les traitements et les examens ? C’est la requête de Margaret Wambui, une athlète féminine intersexe, qui souhaite l’apparition d’une troisième catégorie sportive qui transcenderait le genre, où les athlètes pourraient tous compétitionner sans discrimination. Caster Semenya s’oppose à cette idée : « […] personne ne peut se présenter dans cette catégorie sans déclarer publiquement les détails relatifs à sa santé privée. Ce ne serait qu’une autre forme de test de féminité par autodéclaration forcée. » [traduction libre]

Elle explique que ce serait, selon elle, une forme nouvelle de discrimination qui n’avantagerait aucunement les athlètes visées par les règlements de World Athletics.

Un autre aspect à considérer est l’aspect culturel, notamment par rapport aux conceptions du monde du sport, de la féminité et des femmes. Selon Anaïs Bohuon, professeure à la Faculté des sciences du sport Paris-Saclay et autrice, la question est celle de définir la femme : « Depuis les années 60, le monde du sport cherche à définir ce qu’est la vraie femme autorisée à concourir » explique-t-elle. À son avis, forcer des femmes en bonne santé, avec des « corps sains » à subir des traitements pour les faire correspondre aux standards occidentaux de féminité, c’est « effrayant ». De plus, alors que les organisations qui régissent le monde du sport (et qui sont majoritairement masculines) mènent une guerre sans fin contre le dopage – la prise de drogue par un athlète pour améliorer la performance –, il semble contradictoire de forcer des sportives à modifier leur corps pour pouvoir effectuer leur performance. Des histoires d’horreur ont été vécues par des athlètes féminines qui ont subi des opérations, des traitements, des observations invasives et parfois des années de représentations extrêmement dommageable dans les médias. Des cas ont été répertoriés d’athlètes qui auraient subi, toujours sous le faux prétexte de respecter les règlements, des opérations visant à s’assurer qu’elles respectent la vision des grandes organisations par rapport à ce à quoi un corps féminin devrait ressembler, sans aucun impact sur leur performance sportive. Il est notamment question d’opérations visant la réduction de la taille de leur clitoris, de chirurgies plastiques féminisantes et de la thérapie de remplacement d’œstrogène, pour n’en nommer que quelques-unes. Ces interventions médicales n’ont rien à voir avec la réduction du taux de testostérone pour le sport. Pour éviter ces abus de pouvoir, différentes solutions sont offertes, mais aucune n’est parfaite. De nombreuses athlètes, dont Chand et Semenya, ont opté pour la voie légale. Cependant, l’impact à long terme de ces démarches ont été minimes : les règlements de World Athletics ont temporairement été suspendus, mais sont aujourd’hui de retour.

Quel est votre avis sur le sujet ? Pensez-vous que le monde du sport devrait empêcher les athlètes féminines qui ont un taux de testostérone élevé de compétitionner ? Une troisième catégorie sportive devrait-elle être créée ?

(Texte tiré en partie d’un essai réalisé dans le cadre du cours sciences et technologie)

Notes de bas de page

1 Hyperandrogénie : Condition médicale dans laquelle le taux d’hormones androgènes – comme la testostérone – est plus élevé que la moyenne.

BIBLIOGRAPHIE

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