Le royaume sans ressources – Chapitre 10 – Ligne ennemie

Lydia Chabot-Scrosati

À MILLELIEUXDEMOILOU, Appoline, Laurent, Horace et les autres voulaient trouver un moyen d’aller chercher les habitants pris au royaume des Quatre. Depuis quelques jours, ils avaient étudié des cartes afin de trouver la meilleure route à prendre. Il se trouvait que ceux-ci devraient passer par plusieurs villages et royaumes pour y arriver. C’était peut-être leur seule chance de se faire des alliés et par le fait même une armée digne de ce nom.

Un conseil se forma au sein du village pour diriger l’attaque. Si officiellement Appoline détenait l’autorité, Laurent prenait la majorité des décisions. Seulement, la communauté restait profondément méfiante envers le général. Le conseil voyait pourtant en lui un stratège efficace. Sur ses ordres une approche fut donc tentée.

Deux jours après le départ des espions et ambassadeurs pour les villages voisins, l’armée récemment formée se mit en marche. Si elle n’alignait que cinq cent soldats, leurs anciens alliés triplèrent les rangs. C’est ainsi que le détachement partit vers le nord alors qu’il se séparait en trois cohortes. Celles-ci doublèrent difficilement alors que différents groupes se joignaient à eux. Les émissaires du conseil eurent de grandes difficultés à augmenter les effectifs de l’armée alors que les troupes de Conor étaient bien plus nombreuses. 

Après deux semaines de marche, il devint évident que les troupes ne pouvaient pénétrer plus avant sans être découvertes. Elles montèrent donc leur camp aux abords d’une vaste forêt de conifères. La lugubre barrière les séparait de leur frontière avec le royaume ennemi en plus de les dissimuler aux yeux d’éventuels guetteurs. Et malgré l’effet que provoquait l’ombre menaçante des arbres sur les troupes, Appoline força l’arrêt. Rapidement, les tentes furent montées et entourées d’une haute barrière. Les arbres abattus servaient de murs, autant que de pieux. Ceux-ci piquaient le fossé entourant la barrière. Deux entrées furent conservées et les gardes positionnés restreignaient les déplacements. À la tombée du jour, les alentours étaient gardés et le camp était calme. Au pavillon central, le conseil était réuni.

-Avant longtemps, nous serons découverts et pourtant nous sommes toujours trop peu nombreux pour une attaque frontale. Dès que nous serons repérés, toutes nos chances s’évaporeront, commença Alix.

– Malgré cela, je ne vois pas comment nous pouvons reculer. Si nous le faisons, nous perdrons les maigres appuis qu’il nous reste, avança Appoline.

-Mais quel choix avons-nous? Si nous nous défilons maintenant, nous pouvons éviter une guerre ouverte avec Conor, argumenta l’ainée.

Les voix montèrent contre l’armée qui avait détruit leur bourgade, qui avait amené la guerre. Quelques-uns réussirent à parler, mais la confusion continua jusqu’à ce qu’ Apolline élève la voix. Sur un signe de tête, elle donna la parole.

-Depuis notre départ, la question m’a tenaillée. Il semble évident maintenant que nous n’avons pas la force de frappe nécessaire pour vaincre. Je sais que plusieurs ne m’accordent pas leur confiance, mais il n’en demeure pas moins que je suis assurément le seul à pouvoir pénétrer le territoire en-avant. Laissez-moi conduire le roi et son armée à travers la forêt. S’il croit à une rébellion lointaine, il avancera aveuglément par le chemin que nous aurons convenu. Ainsi, il nous sera possible de surprendre une colonne étendue et désorganisée en l’attaquant en différents points. expliqua Laurent.

-Et comment pouvons-nous te laisser partir pour exécuter ton plan alors que rien ne nous garantit ta loyauté? Pourquoi ne trahirais-tu pas notre peuple? le coupa un officier.

-Si je retourne auprès du roi, son conseil me fera arrêter dès qu’il en aura l’occasion. répondit l’homme.

-Alors c’est que tu ne le fais que pour te sauver toi-même? répliqua le militaire.

-Peu importe ses motivations réelles, nous les connaîtrons bien assez tôt. Laurent sait bien ce qu’il adviendra de lui s’il se vend à son père. Qu’il parte demain avant l’aube trancha Apolline.

Armé et muni d’une seule besace, Laurent sortit de sa tente et se dirigea vers la forêt. Empruntant un chemin qu’il connaissait, il parcourut la zone en quatre jours. Surveillant continuellement les environs, il dormait peu, prenant soin de se cacher parmi la végétation. La veille de son arrivée à la frontière, il s’allongea entre d’épais buissons. Avec un coutelas, il se dégagea un espace avant de s’enrouler dans sa cape. Lorsque ses rêves le portèrent vers le nid d’un aigle aux plumes écorchées et salies, il se réveilla en sursaut. La lune était toujours haute, mais le voyageur ne pouvait retrouver le sommeil. Il se résolut donc à reprendre sa marche, traînant sur son dos sa fatigue et ses craintes. Perdu dans le brouillard qui nimbait ses pensées, le jeune homme ne vit pas une patrouille l’entourer. 

Désormais à découvert sur le chemin glissant entre les collines, le marcheur fut rapidement encerclé.

-Que faites-vous sans votre garde, Altesse? demanda le capitaine.

-Donnez-moi ce cheval et accompagnez-moi chez mon père. commanda le prince.

Le surlendemain, Laurent entrait par les portes de la ville pour rejoindre la forteresse du roi.

À suivre…

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