Bolge d’un preux

Dans une épaisse forêt plus sombre qu’un puits, plus sombre qu’une grotte, plus sombre qu’un gouffre, habitaient d’étranges créatures que l’on disait horribles faute de ne les avoir jamais vues autrement qu’à la lueur d la lune. Parce qu’autrement, chacun aurait su qu’il n’en était rien:  pas d’ogres velus, de dragons crachant leur langue ou de vampires envolés. De toutes ces personnes qui tremblaient, j’étais bien le seul à avoir pris sur moi. Je me pavanais un peu, mais ce n’était pas par bravade comme je m’en viens-vous conter.

Au crépuscule d’une nuit ombrageuse, je sortis de ma hutte et pris le chemin de rocaille, fuyant mon village. Je passai la tête derrière les hautes palissades, sautai d’un bond, le corps ragaillardi. Et il était bien le seul à l’être, gaillard, preux peut-être à se laisser mourir en Roland. Je courrai donc de sauts lestes poursuivis de hululements acérés et couvert de nuages tombés. Quand j’arrivai à la lisière du bois, murs en remparts, je me penchai, me couvris les yeux d’un coup pour me cacher de l’ombre. Et je tremblai comme d’un froid mortel, la vie qui quitte son corps dépourvu ; recroquevillé. Après un temps, quand me revint l’idée de pensée en raison, mes joues se teintèrent de vermillon, mes mains blanchirent jusqu’à s’appuyer sur le sol pour me relever d’un bond. Ah ! que me voilà couard et misérable ! sot de croire en la protection d’être figé. Je préfère être bleu, courant vers les cendres de mon linceul, que d’être de cet écarlate. Ainsi, je repris sur moi, gravissant une muraille qui me pénétrait d’un souffle. Nonobstant j’étais droit, presque altier de courage, et point gourd. Les pins étendaient leurs bras fumant en limbes grisâtres et comme un lac gelé s’étendait sous moi et je crus y discerner les traîtres, têtes découvertes. Puis, la glace devint un amas de pierres rocailleuses et entassées comme celles d’un neck. Je n’osai regarder plus haut, tant était ma grande peur de voir surgirent des géants enchaîner, de voir manger le premier des démons. J’avançai donc, n’apercevant rien devant moi et tombai.

Des acouphènes cognaient ma tête sur son lit de terre battue. Des fougères en baldaquins couvraient mon visage, dessinaient des draps d’été ; la mousse me faisait une couche en fraîcheur. Comme des gouttes tombaient à mon front, en croix de vie. Et je n’osais ouvrir mes yeux qui en deviendraient aveugles de tant voir. J’y consentis cependant, oubliant mon mirage en rêve, parti de lui-même. Et alors, engourdie d’horreur, je pris quelques lointaines forces à m’écrier d’étonnement. J’y repense avec un peu de gêne, car voilà qu’il n’en était de bien peu de choses et de surprise plus qu’autrement. Et voilà donc ce que je vis, me redressant pour détailler la chose.

C’était plutôt gras et ventripotent, un dragon de conte assis sur son or rutilant à manger des nains puants. Il avait bien le ventre d’un lombric glissant ; la poitrine basse et tombant en poitrail bombé. Celui d’un général gavé d’orgies, de fastes après une jeunesse en conquête. Il s’en léchait les babines avalées, déjà gluantes ; exsangues tant elles étaient craquelées. Un monstre bien heureux, gaillard sans sa tête penchée. Pencher plus qu’un peu et pencher sur quoi ? Sur qui d’autre que moi ? Assis, j’étais d’un peu moins haut ; le regard dans ses yeux plus globuleux que ronds, de plâtre terni et craquelé de rouge. C’était comme une question en suspens, l’éclat envolé d’une apostrophe gauche. L’animal tira sa langue pointue, attaquant des mouches invisibles qui survolaient sa peau ternie de temps trépassé. De celle-ci on aurait dit un paletot ébréché, s’étirant jusqu’à une queue écourtée. Il jouait avec la brise le caressant, murmurant des borborygmes amusants. D’un coup, le lézard tourna la tête et étira son long corps d’un leste endormi. Puis parti en sautillant, les fougères embrassant sa tête étourdie.

Tiré de ma rêverie, je ne sais par quelle folie, je me pris à me lever bondissant. D’un bond sur mes pieds, j’observais autour de moi. Je cherchais le monstre, portant mes yeux assez loin. Je frémis et voyant bouger quelques feuillages, je me lançais éperdument. À grandes foulées, j’ai parcouru des dizaines, des centaines, des milliers de lieux ! ou peut-être que j’exagère quelque peu. Mais qu’importe, j’arrivais à bout de souffle devant une grotte enterrée de tapis mousseux, surmontée d’un arbre unique. Je m’arrêtais, ne voyant plus depuis quelque temps déjà le monstre que je suivais. Je ne sais pas où je l’avais perdu, probablement derrière un if puissant, au tournant d’un bouleau ployant. Et pourtant, j’imaginais bien l’entrée devant moi, être la porte de la maison du lézard. Je ne me suis jamais demandé quel genre de demeure pouvait désirer un lézard, mais il me semblait que celle-ci était appropriée. Je finis de m’en convaincre en m’approchant, me penchant vers l’entrée. En sortait des vapeurs immondes, celle de la malebolge profonde, qui gronde nauséabonde. Le puits du huitième cercle m’agrippait de ses longs doigts crochus et pierreux. Et je tombais en roulant, dégringolant sur mon séant douloureux et écorché de pierres brisées. Il me semblait entendre les cris des flatteurs, des séducteurs et des enchanteurs. Mais possiblement était-ce simplement mes hurlements se cognant contre les parois du tunnel où je m’enfonçais ? Il me sembla tomber longuement ainsi, mais je finis pourtant par m’arrêter au bout d’un certain temps. Mes os gémissaient alors plus que moi, qui donnais d’ailleurs une bien piètre image de mon prétendu courage. Cependant, je ne vous laisse douter, pour l’instant, de celui-ci car je comptais remonter dans ma propre estime. Et c’est ainsi que je me relevais bravement pour me cogner violemment la tête contre le plafond. Conséquemment, je décidais de ramper vers la poursuite du tunnel. Quelle folle idée me poussait, je ne puis départager entre un courage idiot, la peur de remonter vers la forêt et l’indécision la plus complète. Qu’importe, j’avançais jusqu’à rencontrer un croisement donnant sur trois chemins s’éloignant l’un de l’autre. Et avant que je n’aie pu me décider, il me sembla voir s’avancer devant moi le dragon portant une couronne dorée, incrustée de pierreries colorées. Tout ahuri, je me précipitais donc vers le passage de gauche donc je n’ai aucun souvenir, autrement que celui d’une montée éreintante. Je me pressais tellement, qu’après un tournant, je fus frappé du soleil éclatant d’au-dehors.

Ainsi, d’un coup soudain, je me trouvais à voir devant moi mon village, et ce sans comprendre aucunement comment il n’en était possible. J’inspirais la brise matinale, les effluves familiers s’échappant des huttes communales. Les pains ronds parfumant les étals, comme les poissons salés aux écailles argentées. De la place s’élevaient les premiers contes d’un griot chantant un crocodile dans son marigot. Je sentis alors un frôlement dans mon dos, comme la caresse d’une amante à travers mon paletot. Je me retournais, prêt à me laisser aller d’apaisement, penchant doucement ma tête allégrement. Quand je vis derrière moi le monstre couronné. Et ainsi d’un dernier sursaut, je tombais en pâmoison.

Lydia Chabot-Scrosati

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